Matériel médical imprimé en 3D, réappropriation des pratiques de secourisme et solidarité internationale
![Logo 'DIY against facisme, we are not makers'](https://git.deuxfleurs.fr/distorsion/distorsion.interhacker.space/raw/branch/main/site/img/3d_print_solidarity.jpg?raw=true)
We are not “makers”…
Le matériel de premier secours est essentiellement développé par les
armées.
Elles ont “l’avantage” de pouvoir tester leurs dispositifs sur le
terrain, qui sont ensuite utilisés dans des cadres civils par des
secouristes.
Malheureusement, dans le transfert passe aussi souvent une conception
viriliste et militariste des premiers secours. On se retrouve en manif
avec des street medics en cosplay Call-Of-Duty complet, et il
n’est pas rare de faire face à des comportements machistes, en
particulier grossophobes, de la part de secouristes.
Ça nous parait important de démocratiser les pratiques de secourisme pour ne pas les laisser à quelques “sauveurs”. Ça passe par la popularisation des savoirs et du matériel. Non seulement on espère voir se développer les réseaux de soin communautaire, inclusif ; mais surtout la démocratisation des gestes et du matériel de secours sauve directement des vies, car la bonne prise en charge des urgences repose sur une réponse en plusieurs étapes. Une réponse rapide des personnes témoin d’une urgence, la prise en charge rapide par les secours et le transport jusqu’à l’hôpital pour les soins dans les meilleures conditions.
À la disto, grâce au fablab qui nous héberge, on a accès à plein d’imprimantes 3D. Parfois, on est un peu exaspéré·e·s de les voir produire des figurines de Yoda ou d’autres bidules qui vont finir direct à la poubelle après avoir pris la poussière. Alors, l’idée est venue de les utiliser pour produire du matériel médical.
Le gros avantage de l’impression 3D, au-delà de pouvoir faire facilement des pièces relativement complexes, c’est qu’elle permet de faire de la production distribuée grâce au coût “faible” des machines (entre 150€ et 1000€) et des matériaux. Un fichier peut être partagé et être utilisé n’importe où pour fabriquer des objets, tant qu’il y a une imprimante 3D à disposition. Pour une communauté locale, il est généralement assez facile de trouver une ou deux imprimantes pas trop loin, et de produire ensuite du matériel utile à bas coût. Mais plus que la fabrication, la conception est distribuée, puisque tous les projets dont on parle ici sont open-source, donc encouragent les contributions de toustes, le partage et la réutilisation libre des contenus.
Ça ouvre aussi la possibilité de solidarités internationales concrètes, avec les personnes qui vivent dans l’enfer des conflits ouverts que l’on connaît en ce moment (en Ukraine, en Palestine, au Myanmar, en RDC, au Soudan…). Dans les discours autour des situations de conflit, l’impression 3D est habituellement mise en avant pour la fabrication d’armes (drones qui lâchent des grenades, armes à feu, etc.). On ne va certainement pas condamner celles et ceux qui, au Myanmar par exemple, choisissent de s’armer pour se défendre face à un régime autoritaire, mais on souhaite participer à élargir le répertoire d’usages de l’impression 3D en dehors du militaire. On pense qu’imprimer et permettre d’imprimer du matériel médical peut avoir un impact positif, tout en permettant de dépasser l’imaginaire militariste et nihiliste de la solidarité internationale avec les peuples qui subissent la guerre.
On espère, enfin, que ces perspectives contribuent à politiser un peu l’ingénierie DIY et en particulier l’impression 3D, trop souvent cantonnée au microcosme désespérant des “makers”.
…mais on make quand même
Quelques un·e·s d’entre nous se sont donc lancé·e·s dans la conception de matériel médical imprimable en 3D et ont abouti à des designs pour
![Modèle 3D du bandage israelien](https://git.deuxfleurs.fr/distorsion/3D-printed-israeli-bandage/media/branch/main/pictures/israeli_bandage_3D_model_picture.png?raw=true)
- Un levier pour pansement compressif dit “pansement israélien”, de la nationalité du médecin militaire qui l’a inventé. Voilà, quand on dit que le matériel de premier secours est hérité des armées (génocidaires en prime)… En pratique, c’est un simple levier accroché à un bandage qui permet d’appliquer de la force sur une plaie bandée pour arrêter le saignement. Les fichiers sont dans ce dépôt.
![Photo d'un tourniquet imprimé en 3D](https://git.deuxfleurs.fr/distorsion/3D-printed-tourniquet-softlike/raw/branch/main/pictures/tourniquet_finished.jpeg?raw=true)
- Un tourniquet (type SOF-T, développé et utilisé par l’armée Étasunienne), qui permet de poser rapidement un garot. Les fichiers sont disponibles dans ce dépôt. Un autre modèle de tourniquet imprimable en 3D (de type “CAT” ou Combat Application Tourniquet…) a été développé par le collectif Glia. Il est, entre autres, utilisé à Gaza, et les fichiers de leur modèle sont disponibles ici.
![Photo d'un masque à gaz imprimé en 3D avec une cartouche anti-poussière commerciale](https://git.deuxfleurs.fr/distorsion/3D-printed-parametric-gas-mask/media/branch/main/pictures/gas_mask_v9_picture.jpeg?raw=true)
- Un écosystème de masque à gaz modulaire. Le masque du kit peut être utilisé avec des cartouches imprimées en 3D à partir des modèles du kit, ou bien avec des cartouches standards qui se trouvent dans le commerce. Les fichiers sont distribués dans ce dépôt pour le corps du masque à gaz, celui-là pour une cartouche filtrante et celui-ci pour la source de la valve unidirectionelle.
On réfléchit aussi à d’autres projets, comme un projet de ceinture pelvienne d’urgence, car c’est un objet à usage unique qui - bien que nécessaire à sauver des vies - coûte plusieurs centaines d’euros. Par ailleurs les gens du projet opensourcemedicalsupplies font un travail incroyable de recensement des projets de matériel médical open-source.
L’un des objectifs du projet était de rendre les modèles 3D entièrement paramétriques. Ça veut dire que les dimensions pertinentes (largeur du levier du bandage israélien, longueur de la baguette du tourniquet, diamètre de la valve du masque, etc.) sont modifiables, et l’ensemble du modèle 3D s’y ajuste automatiquement. De cette façon, les designs peuvent être facilement modifiés en fonction des besoins locaux, sans avoir besoin de maîtriser complètement les logiciels de conception 3D.
Au bout du compte, on arrive à produire du matériel pour moins cher. Les pansements israéliens (à usage unique) les moins chers coûtent environ 10€ dans le commerce, contre environ 2€ (avec bandage) pour celui imprimé en 3D. Un tourniquet est vendu à minima 10€ sur les sites officiels, alors que le notre nous revient à 2€ (essentiellement pour la sangle). Enfin, produire un masque et une cartouche nous coûte respectivement ~4€ et ~3€ contre 20€ à 50€ pour le masque et autour de 10€ à 15€ pour la cartouche si on les achetait dans le commerce.
On espère que tout ça aide à nous réapproprier le secourisme et les premiers gestes pour démocratiser les “street medics”, alléger la charge des secouristes, et améliorer le soin des blessé·e·s. On espère aussi que ça peut donner des idées d’usages politiques de l’ingénierie DIY et de l’impression 3D, qui est déjà utilisée dans des zones de conflits (Ukraine, Palestine, Myanmar, Sri Lanka). Et enfin on espère contribuer un peu à améliorer la situation de populations qui subissent des guerres, en concevant, fabriquant et testant du matériel de soin habituellement produit par des industries qui soutiennent des armées génocidaires.
Comme tout projet technique, ces designs sont perfectibles. Et la question du “pourquoi ?” n’est jamais épuisée. N’hésitez pas à nous écrire !